ponte tower, une utopie architecturale
icône de l'imaginaire collectif des habitants de Johannesburg, à mi-chemin entre l'idéal paradisiaque de son projet originel et le repoussoir mal famé des années 1980/2000, la tour Ponte, du haut de ses 54 étages, domine depuis 40 ans la capitale sud-africaine
et c’est une visite programmée par Joburg Accueil que je n’aurai loupé pour rien au monde (mon dos bloqué ne m’a pas démotivée… bref, passons)
c'est en 1971 qu’est lancée la construction de cette tour — la plus haute du continent — au milieu des «flatlands» de Berea, Hillbrow et Yoeville, des quartiers alors en vogue et exclusivement réservés aux blancs…
car ce gratte-ciel cylindrique de 476 appartements a d'abord été le symbole de la réussite du régime raciste de l'apartheid et de la prospérité économique de la ville : c’était pour le régime en place une fierté et un geste héroïque pour dire au monde « On se moque de vos sanctions », voilà notre message d’indépendance, notre symbole de liberté !
et effectivement, la tour Ponte est alors un modèle de modernité
l’utopie architecturale n’est pas sans rappeler dans ses principes, les projets français de la cité radieuse de Le Corbusier ou du familistère de Guise
en effet, la tour doit permettre de vivre en autarcie ; elle compte des commerces, une piscine et des appartements confortables dont les plus luxueux sont situés au sommet (certains servent de penthouses à de riches célibataires...)
à sa livraison en 1975, seuls les blancs peuvent y habiter… le gardien et les employés noirs étant logés sur le toit, cachés par de hauts murs…
mais dès 1976, l'utopie se fissure avec les émeutes de Soweto : le coeur de la ville est abandonné par les Afrikaners qui partent habiter dans des quartiers réputés plus sûrs
commence le lent déclin du gratte-ciel... les appartements se vidant, les lieux se dégradent au fil des années jusqu'à la fin du régime en 1991
progressivement, la tour va être squattée par des migrants pauvres arrivés d'autres pays africains voisins sans le sou, qui vont vivre à 15 dans des appartements trop petits, sans eau ni électricité… dans ces conditions, la tour devient vite un repère pour les gangs et les trafiquants de drogues
il va sans dire que le taux de criminalité a atteint des records
en 2007, des promoteurs rachètent l'immeuble pour le réhabiliter mais leurs rêves s'effondrent avec la crise financière de 2008
pourtant aujourd’hui la ponte tower semble en voie de renaissance
ses appartements sont prisés par les classes moyennes noires, mais aussi des Sud-Africains branchés, âgés d’une trentaine d’années, qui réinvestissent ce quartier (et font, au passage, une excellente affaire immobilière) ; la liste d’attente est longue pour louer un appartement avec vue dans le building qui reste le plut haut immeuble d'habitation de l'hémisphère sud
Bijou a 20 ans, c’est elle qui nous a guidées dans la visite de la tour et de son quartier
par son témoignage vibrant et enthousiaste, elle nous a fait toucher la réalité quotidienne de la tour avec son architecture particulière, ses 54 étages comme des couches d’histoire successives, mais aussi les fantasmes et les rumeurs colportées au fil des années
évidemment, l’édifice circulaire est photogénique
à chaque pas, on trouve matière à déclencher l’obturateur, on épuise tous les angles, on profite de la vue du haut (immenses baies vitrées qui s’ouvrent sur une forêt de buildings) et du bas (la vue depuis la cour centrale est vertigineuse)
en dehors de tous les fantasmes liés au crime, la tour révèle un environnement apaisé, on croise des enfants, des femmes portant leurs bébés dans le dos, des hommes rentrant des sacs de courses dans les mains… les murs et couloirs de la Tour Ponte déroulent mille et une vies
symbole de luxe et d'opulence sous l'apartheid, la tour ponte semble vouloir s’extraire de sa réputation de bidonville vertical dans l’un des plus délabrés quartiers du centre de la ville
en tout cas, cela fait un bien fou de sortir de nos banlieues résidentielles, avec piscine, pelouse et murs d’enceinte sécurisés, et sentir ainsi battre le coeur de l'Afrique